entretien pour https://lyl.live
publié sur https://lyl.live/episode/edientites le 15/02/2022
1. Garvalf, vous êtes affilié à la scène Dungeon Synth dont les compositeurs sont généralement proches du métal via des styles comme le dark ambient. Est ce aussi votre parcours ?
Oui tout à fait, « Garvalf » est un projet multiforme, j'ai débuté la musique principalement avec du metal, avec notamment des titres entrecoupés de passages aux synthés seuls, ce qui a donné par la suite ce qu'on a appelé le Dungeon Synth. C'était assez dans la norme de l'époque de réaliser ce type de mélange.
On trouve un entretien où j'ai l'occasion de m'exprimer sur ces sujets d'ailleurs, si cela peut aider à re situer : http://garvalf.online.fr/index.php?page=press.heidnir
2. Pourtant, parmi vos compositions, on retrouve aussi des reprises d’airs folk ou des compositions originales inspirées de thèmes à danser traditionnels, ce qui dénote avec le registre plus sombre de la dungeon synth de manière générale. Pourquoi ce choix ?
Le dungeon synth est une appellation un peu fourre-tout, qui regroupe des styles parfois éloignés, voire contradictoires. Même Mortiis, qui est souvent présenté comme étant le père du Dungeon Synth, a donné dans son projet "Fata Morgana" des passages dansants, presque joyeux (même si teintés de mélancolie), comme dans ce titre éponyme : https://www.youtube.com/watch?v=NTRPJioqYuQ&t=887s
À l'inverse, les musiques trad ne sont pas tout le temps joyeuses, par exemple le titre "Les trois soeurs" de Maluzerne : https://www.youtube.com/watch?v=8hRjsJk3Hrs qui est sur un mode mineur.
Pour en revenir à la question, je pense que le propre de la vie est d'avoir des contrastes entre des tonalités d'humeurs différentes, et finalement ma musique suit également cela.
Il faut également séparer les morceaux issus d'un album cohérent, de ceux composés par-ci et par-là, et qui n'ont pas forcément une consistance avec l'ensemble de mes compositions et qui peuvent être plus des jeux ou des recherches formelles. À part pour le premier album ("One Myth") d'ailleurs, qui est du chiptune lofi 1bit, je n'ai pas vraiment sorti jusqu'à présent d'album chiptune complet.
3. Je pense notamment à vos compositions « Walnut Jig » et « valse sorcière », pouvez-vous nous dire comment vous les avez composées ?
Walnut Jig a été composé avec le logiciel Deflemask, qui est un tracker multiplateforme, et qui a permis d'exporter vers la GameBoy pour l'enregistrement.
Sur ce morceau, j'ai composé la mélodie en premier, directement dans le tracker, puis j'ai cherché un accompagnement pour aller avec, avec basse et rythmique. La mélodie pourrait se suffire à elle-même, si c'était joué au tin whistle ou à la mandoline par exemple.
La valse de la sorcière est un morceau initialement composé au piano, que j'ai retranscrit ensuite sur le logiciel 1tracker, qui est dédié à la musique 1bit (zx spectrum par exemple). Là par rapport à l'autre morceau c'est plutôt la démarche inverse qui a été effectuée, comme il s'agit d'une valse je suis parti d'un tel rythme, à la basse, et j'ai rajouté une mélodie par-dessus.
Initialement cette valse a été créée pour mon premier album de Dungeon Synth, on la retrouve ici : https://garvalf.bandcamp.com/track/alb-iser-valdersta-waltz
La version 1bit, enregistré sur un clone de ZX Spectrum peut quant à elle être entendue ici : https://www.youtube.com/watch?v=XCnSp2mjIOM
Cette fois-ci cela sonne un peu rapide et précipité, c'est parce qu'on n'a pas toute latitude pour gérer le tempo avec ce type de logiciel.
Je l'ai enfin sorti à nouveau sur cet album orienté "classique" : https://garvalf.bandcamp.com/track/valse-de-la-sorci-re
J'aime particulièrement réinterpréter d'anciens morceaux, pour voir ce qu'on peut en retirer une fois qu'on les passe dans un autre système.
4. Aujourd’hui, l’instrument le plus utilisé par les compositeurs chiptune est sûrement la gameboy. Vous vous distinguez en composant sur de nombreuses machines différentes, et notamment avec les premiers ordinateurs 1 bit. Pourquoi utilisez vous autant de technologies différentes ? Quels sont vos instruments préférés ? Influencent ils votre manière de composer ?
Beaucoup de musiciens chiptune apprécient effectivement la GameBoy, et en particulier le logiciel LSDJ, qui permet une composition directement depuis la console. Il m'est arrivé de l'utiliser également, mais je me sens plus à l'aise avec un ordinateur complet.
Quant à la multiplicité des technologies utilisées, cela rejoint un peu la fin de la réponse précédente : à partir d'une mélodie ou d'un morceau complet, en le réinterprétant avec d'autres contraintes, on va découvrir un autre aspect de la composition, et on va pouvoir s'exprimer d'une autre manière, en raffinant ce qui a déjà été découvert.
Finalement ce sont surtout les contraintes et les limitations qui vont permettre de donner quelque chose d'intéressant : la liberté s'exprime le mieux quand des limites ont été posées préalablement !
La musique 1bit est très limitante, et pourtant c'est grâce à elle que j'ai réalisé certaines de mes meilleures compositions, par exemple https://garvalf.bandcamp.com/track/ildesyril-daydreams que l'on retrouve déjà sur l'album "One Myth", et qui a été retranscript ainsi en midi. Si j'étais parti d'un séquenceur midi classique, je n'aurais pas orienté cette pièce dans ces tonalités et avec ces harmonisations. Au final toutes ces technologies utilisées, trackers ou autres logiciels, vont permettre de prendre de la distance par rapport aux notes, et vont aider à trouver l'inspiration, qui ne peut pas forcément toujours sortir de rien. De plus c'est stimulant pour un esprit curieux de s'essayer à plusieurs soundchips, plusieurs logiciels différents.
Je ne veux d'ailleurs pas forcément cantonner le chiptune à quelque chose de joyeux (cf. question 2), j'ai ainsi porté un morceau de l'album "Hollow Earth" sur la puce FM de la Sega Megadrive ("The shortest day") : https://catskullrecords.bandcamp.com/track/the-shortest-day-in-summer
Quant aux instruments préférés, s'agit-il du soundchip ou du logiciel utilisé ? C'est un peu le problème (de riche) des musiciens modernes : il y a "trop" de logiciels, trop de VST, trop de possibilités ! Ça en devient étourdissant, et il faudrait soit arriver à se contenter d'un panel réduit, que l'on maîtrise bien, soit arriver à être un touche-à-tout génial qui sait prendre le meilleur de toutes ces possibilités (ce que je n'arrive pas à faire, ayant tendance à me disperser).
Mes puces sonores préférés sont indéniablement le chip AY (3 voies en signal carré) que l'on trouve sur Atari ST, et le YM2612 (six canaux FM) qui équipe la Megadrive. La première parce qu'elle est basique et efficace, la seconde parce qu'elle permet beaucoup de nuances et une richesse qui dépasse le chiptune.
Le logiciel Deflemask permet de composer pour Megadrive. Ce n'est pas un logiciel libre malheureusement, mais il fonctionne bien et est multiplateforme. J'apprécie également SidWizard qui est natif au Commodore C64, mais se révèle très efficace de part son ergonomie bien pensée. Mais actuellement j'utilise moins les trackers qu'auparavant, et je trouve finalement plus pratique, pour mes travaux actuels, d'utiliser un éditeur midi plus traditionel comme MuseScore, ou encore Ardour pour enregistrer des séquences audio.
C'est vrai que le logiciel va forcément influencer sur la manière de composer, c'est difficile de se défaire de cela. C'est d'ailleurs également pour cette raison que certains musiciens vont dans une direction "no DAW" (no digital audio workstation, sans PC), mais en soit cela influence aussi leur manière de composer, d'appréhender leur musique. Il m'arrive aussi de trouver de beaux moments de créativité en utilisant uniquement un synthé basique General Midi ou MT32, et le séquenceur Cubase sur Atari ST (un clone FPGA en fait, le MiST), sans passer par un PC moderne.
5. Ces vieilles machines ont un timbre très particulier, comment se marie-t-il avec un répertoire traditionnel ?
La musique est un domaine qui agit d'un côté sur le physique (coloration des timbres, des sons), mais c'est également un domaine qui peut être purement abstrait, et où "seules les notes peuvent compter", c'est à dire que c'est la mélodie qui va importer, qui va donner l'essence de la musique. Typiquement, c'est la partition folk que l'on retrouve dans un vieux livre, que l'on va jouer et découvrir sur un clavier bontempi à 4 sous et qui va pourtant réussi à nous émouvoir. Et de la même manière, avec le son un peu basique du chiptune on retrouve cette idée. Pas besoin d'une (sur)production comme dans certaines musiques contemporaines, on pourra d'ailleurs utiliser le son le plus dépouillé possible pour retrouver l'esprit du morceau. On peut imaginer dans le même ordre d'idées, dans un contexte rural du 19ème siècle, un musicien amateur qui reprend un air sur son violon à 4 sous, cela aura un peu le même effet.
En écoutant des compilations d'airs traditionnels collectés auprès d'amateurs éclairés, dans les années 1960-80, on peut constater que c'est joué de manière simple et authentiques, sans grand panache, ce qui ne les rend pas moins intéressants (par exemple les airs d'Émile Escalle dans le Dauphiné)
6. Est ce qu’il y a des musique de jeux vidéos qui vous ont particulièrement inspirées / influencées ?
Oui, en particulier les morceaux épiques du style Stormlord (Atari ST), Agony (Amiga), Monkey Island, Loom, Dune, Ys 2. Je n'avais pas de Megadrive à l'époque donc je ne connais pas Castlevania The New Generation depuis très longtemps, mais je pense que c'est une des musiques de jeu la plus incroyable qui existe ! Les sons FM sont admirables, les thèmes sont absolument accrocheurs et c'est parfaitement orchestré et équilibré. Tout cela dans seulement 2 cm² de puce sonore !
7. On voit souvent les musiques traditionnelles / populaire comme un répertoire figé, qu’est-ce que vous en pensez ?
Les musiques trad sont effectivement figées : ce qui date de cette époque est un monde à part entière, à nous d'y créer des passerelles et de l'utiliser comme matériaux pour nos propres besoins actuels. Il est bien entendu permis de piocher dans ce répertoire et ces partitions, car c'est notre héritage ! Ce sont toutes les interprétations actuelles qui vont rendre l'ensemble non figé. Il serait dommage de ne voir cela que comme dans un musée où l'on ne touche à rien. C'est cela qui en fera une tradition vivante.
8. Depuis quelques années il y a un renouveau des musiques trad’, avec des groupes qui y mélangent musique expérimentales ou électroniques (collectif La Novià, Super Parquet…), vous sentez vous proche de ce mouvement ?
J'ai l'impression que les groupes expérimentent avec le trad' depuis les années 70 au moins !
Malicorne notamment, en particulier sur ses derniers albums, avec plus ou moins de bonheur (écoutez "les transformations" sur l'album "Le bestiaire" par exemple).
Il y a également les groupes scandinaves, comme Hedningarna ("Räven"), Garmarna ("Vedergällningen") qui ont très tôt expérimenté sur les airs folk suédois.
Je ne connaissais pas La Novià, mais je constate que Perrine Bourel en fait partie, c'est une musicienne que j'apprécie. Après ce n'est pas vraiment comparable avec ce que je présente, ils sont bien meilleurs interprètes que moi bien sûr : eux c'est de la musique live, acoustique même si teintée d'électronique, pour Garvalf c'est surtout de la musique programmées.
Je ne suis pas spécialement les tendances trad' actuelles parce que ce sont généralement des collectifs qui trouvent leur raison d'être lors de festivals, et je n'y participe pas, j'ai une démarche assez solitaire.
Je pense qu'il est bien de trouver sa propre intégrité, son style. Quand on commence la musique, on va essayer de singer d'autres groupes, pour faire partie d'un clan. Ensuite on peut trouver sa propre voie, mais il est important malgré tout de rester dans un certain chemin, pour que cela ne parte pas dans tous les sens, et que cela perde du sens justement.
9. Pourquoi jouer de la musique trad’ au XXIème siècle ?
Cela doit avant tout venir d'un besoin évidemment. C'est quelque chose qui m'a toujours attiré, j'imagine que la forme trad / folk, tout comme par exemple la forme baroque ou d'autres musiques assez marquées par leur propre style, présente des caractéristiques qui vont plaire à une certaine catégorie, alors que cela insupportera d'autres personnes...
C'est donc la forme musicale, les ambiances associées, qui vont faire qu'on va être tenté de continuer la tradition ou pas... Dans un monde qui va de plus en plus vite, et où il semble de plus en plus difficile de se raccrocher à quelque chose de tangible, la musique trad' est un courant artistique qui étend des bases solides pour les musiciens et les auditeurs.